Désorganisation et réorganisation,  suite  page 2 /2

La désorganisation fonctionnelle.

Elle est rarement isolée enpsychopathologie. C’est sans doute pourquoi H. EY a estimé que toutes les désorganisations psychiatriques, c’est à dire prises en charge par les psychiatres, sont des désorganisations globales. Cependant on peut observer chez les enfants psychotiques des désorganisations relativement isolées de la phonation, ou de la démarche,. pour ne citer que ces deux manifestations qui méritent d'être individualisées du point de vue organisationnel. Les désorganisations fonctionnelles chez l’enfant sont souvent difficiles à distinguer des inorganisations. La désorganisation fonctionnelle est une variante des désorganisations partielles.

 

Je distinguerais aussi volontiers désorganisations temporaires, et durables. Les épisodes psychotiques aigus sont des désorganisations temporaires, fait de mouvements de désorganisation. Ce sont des spirales descendantes de mouvements de désorganisation, pour utiliser l’expression de S. GAUTHIER, et aussi fort heureusement souvent ascendantes, de réorganisation Quels sont les changements irréversibles les plus évidents dans les désorganisations ?. Comme H. EY l’a souligné la conscience du vécu est le plus souvent atteinte dans les psychoses aiguës

 

Le vécu du présent, organisé en champs et orienté par l’attention reste,  normalement, en permanence réversible à l'intérieur des limites physiologiques. Le vécu du moment suivant le remplace entièrement. Ce sont des  systèmes distincts, on le sait, en particulier les variétés diverses de la mémoire, qui gardent les traces. Partout ailleurs, en dehors des fonctions cognitives, on ne trouve dans le fonctionnement psychophysiologique que des réversibilités fonctionnelles. Celles-ci sont sous tendues par des  états stationnaires traversés de flux On les observe essentiellement dans les fonctions cycliques. La réversibilité est obtenue dans ces cas au détriment des processus irréversibles qui se déroulent dans les structures physiologiques porteuses sous-jacentes. La fonction reste assurée. Les éventuelles structures physiologiques qui supportent la fonction de la conscience du vécu ne sont pas connues. On les cherche activement. L’altération de la conscience du vécu dans les psychoses aiguës révèle donc des changements irréversibles dans une fonction qui normalement devrait rester entièrement réversible.Dans les psychoses chroniques la désorganisation peut devenir durable. Comme l’a noté H. Ey les altérations de la personnalité sont au premier plan. Parfois il s’agit d’un véritable état de désorganisation qui fait beaucoup souffrir les malades. (11) Il peut prolonger un état d’inorganisation relative.

 

Autrefois les psychoses aiguës, les états de désorganisation aboutissaient souvent à une désorganisation progressive fatale et les malades mourraient sans doute d’épuisement. L’évolution thérapeutique des deux derniers siècles, à peu près depuis Pinel, a complètement changé, comme il convient de s’en rappeler quelquefois, le décours des maladies mentales. Actuellement les états de désorganisation s’amendent le plus souvent au bout d’un temps plus ou moins long. Le décours, on l'a vu, est spécialement laborieux dans les psychoses hystériques et peut l’être dans d’autres psychoses graves. La thérapie semble fournir des succédanés de paliers régressifs au sens de P. MARTY. J’ai eu l’occasion de suivre un jeune homme chez qui l’état de désorganisation succédant à un épisode aigu a duré près d’un an. Pourtant il ne s’agissait pas d’une psychose grave. On peut analyser en terme de réorganisation les différents moments successifs de l’évolution favorable sous l’effet de la prise en charge par une équipe, comme le fait S GAUTHIER à propos de Mlle Y.  La notion deréorganisation permet aussi de présenter (12) les résultats d’une curepsychanalytique.

 

Les réorganisations pathologiques constituent une issue relativement favorable des désorganisations au cours des processus psychotiques. Le malade, à défaut de pouvoir suffisamment aménager les contraintes qui pèsent sur lui, change par voie régressive sa conscience du vécu ou/et sa conscience de soi. Les réorganisations pathologiques peuvent s'installer progressivement par fluctuations (délirantes, hallucinatoires). La paraphrénie ou la paranoïa, cette dernière étant une réorganisation préventive, en sont les meilleurs exemples. Les réorganisations peuvent ensuite de nouveau se désorganiser. C’est ce qui est arrivé au Président SCHREBER. Dans les psychoses graves les ambitions thérapeutiques se limitent le plus souvent à l’obtention et au maintien d’une réorganisation pathologique acceptable pour le malade et pour son entourage. Autrement dit, on accepte un certain degré d’irréversibilité. Les réorganisations peuvent se présenter comme tout à fait irréversibles, telles les névroses obsessionnelles graves. Les médications actuelles permettent-elles de les rendre réversibles ? L'action des médicaments reste à discuter de point de vue psychopathologique.

 

Discontinuité

Je m'arrête enfin un moment sur la notion de discontinuité étudiée par B. ODIER à propos des "contacts fragmentaires" de S. GAUTHIER. Pourquoi ces discontinuités ont-elles une valeur paradoxalement organisant ? Sommairement, dans un esprit psycho-économique, je suppose que le fonctionnement dépend de l'interaction de la pression pulsionnelle et de l'efficacité de la structure de la personnalité pour la traiter (en question la qualité de l'élaboration psychique). Quand la pression augmente au-delà du supportable, le malade se désorganise. Quand la pression diminue une réorganisation spontanée se fait. (les conditions économiques données permettent alors d'établir des investissements). Je suppose que la structure n'évolue pas beaucoup dans les psychoses chroniques graves qui nous occupent. Reste la modulation de la pression pulsionnelle. On peut penser que les effets stimulants ou inhibants sur la pression pulsionnelle des deux institutions intervenant alternativement sont dissemblables, et surtout en passant de l'une à l'autre, la pression chute. Ou alors, une hypothèse encore plus sommaire, qui a ma préférence: la pression pulsionnelle augmente chez les malades excitables que sont Mlles X et Y en proportion de la durée du séjour. Autrement dit, le transfert et le contre transfert institutionnels se renforcent mutuellement et au bout d'un certain temps les malades de type Mlle X ou Y au transfert trop ambivalent n'arrivent plus à gérer leurs pulsions de plus en plus clivées. Le changement d'institution permet de reprendre le cycle. On observe des phénomènes de ce genre dans chaque relation humaine durable, le mariage, l'éducation, la gouvernance. On aurait reconnu dans ces dernières quelques-unes des entreprises humaines impossibles épinglées par S. FREUD. On sait que la thérapie est du nombre.

 

Si on voulait théoriser avec recours aux acquis récents de la science je reconnais deux directions à la réflexion. Des patterns structurels différents peuvent ainsi apparaître.

 

Une théorie mathématique de la discontinuité a été développée par R. Thom sous le nom de  la "Théorie des catastrophes".. Dans le cas d'un processus déterminé par la maximalisation ou la minimalisation d'une fonction et s'il estcontrôlé au plus par quatre facteurs, sa modélisation permet de présenter sept,et seulement sept "catastrophes élémentaires", c'est à dire sept modèles possibles de la morphogenèse. (13) Certains sont utilisables en psychopathologie. Le changement d'institution agirait sur un des facteurs de contrôle (par exemple la durée du séjour), et influencerait ainsi le comportement résultant. Je ne m'attarde pas sur ces modèles ici, car, à ma connaissance, ils n'ont pas trouvé de véritables applications pratiques.

 

L'irréversibilité

La notion d’irréversibilité, dont j’ai tenté de montrer ici l’importance, renvoie à la thermodynamique. Les processus irréversibles produisent de l’entropie. La signification de la fonction qu’est l’entropie reste discutée. Elle est susceptible d’une douzaine d’interprétations. (14) Dans l’ordre chronologique celle du désordre, de la désorganisation (dans un système physique) a été énoncée en second lieu. En raison de la nature irréversible des processus actifs au cours des maladies mentales la notion de l’entropie peut s’appliquer en psychopathologie, spécialement à l’étude de la désorganisation. En ceci je rejoins D. RIBAS  (15) qui en étudiant sa dimension temporelle, remarque que l’instinct de mort de S. FREUD est résolument du côté de l’entropie.

 

On peut attribuer à la notion du bilan d’entropie (étudiée par I. PRIGOGINE), (16) une signification psychologique.

Dans ce contexte il va falloir s'interroger sur les affinités du processus psychotique avec l'état d'équilibre de type thermodynamique. Trois éventualités sont possibles. L'économie psychique du malade peut se trouver grosso modo soit en état d'équilibre, soit près ou encore loin de l'état d'équilibre. Dans ces deux derniers cas on observe respectivement des modifications linéaires ou non linéaires du processus psychotique par rapport aux forces qui le suscitent (dont l'identification, comme chacun sait, n'est pas aisée).

 

C’est dans l’économie du plaisir que j’ai cru trouver les indicateurs cliniques de changement de l’entropie aussi bien dans l’organisme global que dans les différents systèmes physiologiques spécialisés. Les modifications du bilan entropique par rapport à une production d'entropie optimum entraînent dans de nombreux cas l’envoie à la conscience de signaux de plaisir et de déplaisir. La sauvegarde d’un taux optimum (de production?), d’entropie est le garant du bon fonctionnement, ou si on peut dire ainsi, du rendement de l’organisme. De la perte de capacité d’assurer un taux optimum d’entropie, du bouleversement du bilan entropique, local ou général, résulterait la désorganisation, et dans les cas les plus désespérés, la désorganisation progressive. D'où l'intérêt d'être attentif aux heurs et malheurs des malades. Je compte reprendre ultérieurement une réflexion à ce sujet.

 

 paru dans L'INFORMATION PSYCHIATRIQUE

N°9  Novembre 2001

 

 

Références


 

 

 

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