La psychose, champs de force, structure, processus, maladie, suite   2/2  

Le processus psychotique

La stabilité des structures psychotiques est variable, mais en général moindre que celle des structures névrotiques, perverses ou psychosomatiques. A ce propos, rappelons les influences réciproques des changements dans le Moi et dans les investissements objectaux, dans le jeu desquels Freud s'attendait à trouver le caractère distinctif de la psychose. [5]

 

On exprime sommairement la même idée en affirmant que les psychotiques ne supportent pas les frustrations. La vie psychique, comme un tabouret, a besoin de ses trois pieds pour se tenir en équilibre. L'indifférenciation des imagos parentales, l'inclusion habituelle dans la relation duelle fait qu'il en manquera toujours un. Le terme « décompensation » rend bien compte de ce qui se passe quand l'équilibre habituel est rompu. Nous appelons processus psychotique le processus qui se met en marche à la rupture de l'homéostase chez une personne de structure psychotique.

 

Il s'agit bien d'un processus au sens de Jaspers. On y retrouve l'irruption, le changement, caractères reconnus par lui ; le processus psychotique conduit, comme le veut la conception de Jaspers, à une limitation, à un rétrécissement ou à une désagrégation de la personnalité. Enfin nous reconnaissons avec lui la distinction essentielle entre « le développement unitaire d'une personnalité (sur la base d'un déroulement biologique normal des âges de la vie) et le caractère sans unité d'une vie coupée en deux tronçons par une brèche « due à un processus déclenché à un moment donné... ». Ceci pour les processus psycho-pathologiques quels qu'ils soient. Dans la notion de processus psychotique, l'adjectif « psychotique » renvoie à la structure sous-jacente. Le processus est déclenché pour des raisons propres à l'économie libidinale déséquilibrée, dont il convient de remplacer les investissements perdus. Le style, les caractéristiques pathologiques du processus dépendent par contre essentiellement de la structure qui le supporte.

 

Désorganisations et réorganisations

L'étude des processus psychotiques peut s'enrichir considérablement par l'application du point de vue économique. On peut opposer, ainsi les réorganisations et des désorganisations [6]

Nous entendons par réorganisation un processus de remaniement des structures psychiques chez un individu disposant d'un système régressif bien ancré, tels les paranoïaques ou certains délirants chroniques. La réorganisation devient inévitable quand le système d'investissement du malade n'assure plus un minimum de satisfaction libidinale. Elle annonce la perte de l'équilibre antérieur, signifie la fin de l'homéostase psychique. Il peut en résulter un nouvel équilibre, plus satisfaisant du point de vue de l'économie libidinale. Ce progrès est souvent réalisé au détriment des capacités relationnelles et de l'adaptation, diminuées en raison du rétrécissement et de la limitation de la personnalité. Rarement on observe le retour à l'équilibre antérieur ; nous avons pu observer de tels cas heureux récemment chez les jeunes drogués. La formation d'une réalité substitutive (réalitätsersatz) le plus  souvent sous forme de délire, joue un rôle essentiel dans la réorganisation psychotique. La désorganisation progressive est caractérisée parl'absence de régressions stables et ne comporte pas de palier d'arrêt d'où sa gravité  [7]

On peut citer la schizophrénie et les dépressions graves en exemple. Un équilibre est ici très difficile à établir. Du point de vue dynamique on retrouve un ensemble de phénomènes (psychopathologiques) actifs et organisés dans le temps (Robert). En dehors des cas toxiques et traumatiques, deux processus semblent actuellement s'individualiser et sont acceptés par la majorité des auteurs : le maniaco-dépressif et le schizoparanoïde. Peut-être pourrait-on isoler un ou plusieurs processus névrotiques. Je ne pense pas tant à l'hystério-phobie ou au relâchement-obsession mais plutôt au sado-masochisme, à l'infério-supériorité, à la dépendance (sécurité)-insécurité, au succès-échec. Tous ces processus, on les voit en oeuvre sans qu'ils s'organisent en structure, d'où l'échec des tentatives d'individualiser les névroses correspondantes (Adler, K. Korney, ou la névrose d'échec).

Comme on le voit, il n'est pas toujours très facile de séparer structure et processus. Il s'agit cependant de choses aussi différentes que la chenille et sa métamorphose. Si nous osons exploiter l'analogie nous pouvons comparer le grand malade à la chrysalide. Le papillon, par contre, reste le plus souvent virtuel, c'est-à-dire fantasmatique. On peut dire, en simplifiant à l'excès, que les structures traduisent l'organisation intime des instances psychiques et leur agencement, alors que les processus interviennent pour traduire et si possible rétablir leurs rapports de forces changeants. Une autre analogie, historique celle-ci ; les états et les événements qui les remanient : guerres, mouvements de populations, changements économiques, etc.

La description des processus devrait rendre compte des impressions cliniques si souvent rencontrées par le praticien : mise en route de la pathologie ou psychose toujours en éveil. L'expression allemande «Wahnstimmung » : humeur délirante, vague à l'âme folle, traduit quelque chose du vécu du malade. La plupart des manifestations psychotiques sont à attribuer aux processus.

Enfin souvent, une fois lancé, le processus psychotique ne s'éteint plus et un état de déséquilibre permanent s'installe ; on voit se succéder de multiples tentatives de réorganisation et les mouvements de désorganisation. Cette évolution est devenue la règle depuis l'introduction des neuroleptiques. Quand le développement de la personnalité est compromis dès le départ, comme dans les psychoses infantiles précoces, autisme, symbiose, il peut être difficile d'identifier d'authentiques processus psychotiques, car la notion même de processus comprend le déséquilibre des structures psychiques déjà élaborées.

La maladie

La psychose, champ de force, structure, processus; pourquoi ferions-nous usage, en plus de ces trois termes, d'un quatrième, tellement ingrat, la maladie ? Ne serait-il pas suffisant pour les besoins de la cause psychiatrique de se contenter de parler de structures et de processus, sans diagnostiquer une maladie ? C'est que la notion de la maladie porte toute la contingence adaptative de la pathologie, lui donne son contexte social, désigne son rôle et son statut ; elle « ouvre les droits » du malade à l'aide de la collectivité. Comment réagissent les gens, la famille, le palier, la rue, le travail et finalement le médecin aux manifestations psychotiques du malade ? S'en rendent-ils seulement compte, les ont-ils utilisés, favorisés en fonction de leurs propres besoins, envisagent-ils, eux, les malades, une issue dans le provisoire de la maladie quand la situation est devenue intolérable ? La notion de la maladie résume, couvre, réduit toutes ces questions. Il ne semble pas qu'on puisse se passer en pratique de tels subterfuges. On peut très approximativement appeler maladie psychotique le processus psychotique dont les manifestations modifient sérieusement les rapports habituels du sujet avec son entourage, l'entraîne dans une situation conflictuelle, l'amène lui, ou sa famille, à demander des soins. On peut même observer, à titre de séquelles, après l'extinction du processus, des gens qui restent malades, alors qu'ils « n'ont plus rien », comme si c'était leur maladie qui les protégeait contre la véritable psychose. C'est bien la maladie que nous guérissons par nos interventions et nos médicaments, ce n'est que rarement, lors de ses premières manifestations aiguës qu'on peut agir sur le processus psychotique lui-même.

Ainsi la distinction entre maladie, processus, structure et champ de force psychotiques conduit à des conclusions pratiques. Les manifestations aiguës de la psychose, la maladie, demandent en général, nous ne le savons que trop, l'aménagement artificiel de la situation du malade ; la solution type est l'hospitalisation et la mise en oeuvre d'un traitement médical. Stopper ou canaliser un processus de désorganisation est très difficile. Le traitement médical y parvient rarement, c'est ici que la psychothérapie serait le plus utile. Devant une réorganisation réussie, même délirante, il faut bien peser les conséquences de l'intervention thérapeutique sur l'économie psychique car nous risquons de bouleverser un système d'investissement libidinal qui pourrait se révéler irremplaçable. Enfin nous n'avons guère le pouvoir de modifier durablement le jeu des forces actives dans le champ pulsionnel.

  


 

 

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