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Vécu Psychotique Initial et délires
Quels sont les rapports entre le
V.P.I. et les expériences délirantes courantes rencontrées en clinique quotidienne ? Les expériences délirantes habituelles de M. DLO., comme celles de tous ceux qui nous en ont parlé, ne répliquent pas le vécu psychotique initial. Ces expériences ont pour
contenu un vécu répétitif, le plus souvent persécutif,
parfois sans relation manifeste avec le vécu initial.
Observation. n° 5
M. DRA. Jeune homme hospitalisé pour un épisode aigu. Rorscharch fait par un excellent spécialiste, ne montre pas de tendances
dissociatives, d’où la conclusion du praticien : pas de psychose. Son père, homme d’affaire très occupé comptait sur notre malade pour lui succéder. Maintenant il est « bien embêté La mère fait
mauvaise impression, froide, presque hostile,
aussi bien à mon égard qu’à l’égard de son
fils.Je le vois dans l'institution. Il reste longtemps semi-mutique, prononce à peine quelques phrases, qui concernent le plus souvent sa vie dans le service,
ou parfois sa sexualité. J’apprends
ainsi qu’il n’a pas connu de femmes,
qu’il se masturbait, n’était que modérément culpabilisé. Dans l’établissement il est tombé amoureux d’une jeune fille, et il allait très rapidement faire l’amour
avec, elle, mais seulement une fois. Il reprend volontiers des expressions en usage dans le
service, c’est ainsi qu’il résume son
évolution en disant : je sors de ma carapace.
Encore très troublé
par son expérience hallucinatoire, il ne sait pas quoi en penser. Il a eu une vision, dont il ne sait pas si c’était
réel oui ou non et ce que cela voulait dire. Aimerait
bien comprendre, mais a beaucoup de difficultés
pour en parler. Il ne me racontera sa vision
initiatique que beaucoup plus tard. Pendant
l’accès il a manifesté une très grande agressivité à l’égard de son père
ce qu’il le culpabilise beaucoup. Il apprend
une langue étrangère pour lui faire plaisir (Le père parle cette
langue). Autre sujet d’intérêt : la
science-fiction. Sujet de culpabilité aussi, car il impute la responsabilité de sa folie à ces lectures (thème : soucoupes volantes) et il
continue à en lire.
Aîné de deux garçons, il fut un enfant sage, renfermé, très
attaché à ses parents. Cependant il n’a jamais pu établir une bonne relation
avec sa mère. Il s’entendait mieux avec son
père, homme facile à vivre, plein d’idées,
homme d’action. Plus que le puîné, ce sont les chats de sa mère qui
étaient ses véritables rivaux. J’ai vu un premier sourire éclairer
le visage de mon malade, quand après plusieurs mois de
traitement il me raconta la chute d’un
de ses chats du sixième étage.
Scolarité sans histoire, plutôt bon élève, quelques idées marxisantes. Peu d’amis, pas d’intérêts particuliers; pas de flirt. Entre dans une grande école, choisie par son père. C’est celle que son père aurait aimé fréquenter. Réussite moyenne au concours. Un élémentimportant de son histoire est constitué par une série d’interventions chirurgicales pour hyperparathyroïdie, pratiquées en été, échelonnées de telle manière que pendant la durée de ses études, il n’a pratiquement pas pris de vacances. La dernière intervention avait conduit à l’ablation des parathyroïdes. Pendant son épisode il pensait avoir servi comme cobaye aux médecins.
Peu après le début de la psychothérapie il a pris un travail. Quelques années après la fin du traitement j’ai reçu un faire-part de mariage.
En résumé : épisode aigu chez un garçon qui malgré sa structure psychotique ne
se serait peut-être pas décompensé,
si, à tort, ou à raison, on n’avait pas multiplié les interventions chirurgicales, dont on connaît le
rôle déclenchant.
Dans leur livre consacré auprésident WILSON S. FREUD et l’ambassadeur BULLIT donnent une méthode d'analyse simple de l’économie libidinalet. (10) « Nous commençons par l’axiome suivant : dans la vie psychique de l'homme, depuis sa naissance, une force s’exerce, que nous appelons libido, et définissons comme l’énergie de l’Eros. La libido doit être accumulée quelque part. Nous pensons qu’elle « charge » certaines zones et parties de notre appareil psychique comme un courant électrique charge un accumulateur ; que, comme une charge électrique, elle est sujette à des variations quantitatives ; que, lorsqu’elle reste sans se décharger, elle présente une tension proportionnelle à la charge et cherche une issue ; en outre, qu’elle est continuellement alimentée et renouvelée par des générateurs physiques »
Selon ce texte la libido de l’enfant charge «cinq accumulateurs », qui constituent
autant de voies d’écoulement : le narcissisme, la passivité à l’endroit de la mère, l’activité orientée vers elle, la
passivité à l’égard du père, l’activité qui le prend pour objet. Utilisons cet analyse
de Freud pour décrire les conditions économiques de la production du vécu
psychotique initial.
Avant l’épisode psychotique
quelles sont les conditions de fonctionnement de l’économie
psychique de M. Dra. ? Nous voyons un jeune homme
dont la première enfance n’a pas dû se dérouler
de la manière la plus satisfaisante et qui semble
résigné à ne pas être aimé de sa mère. Il ne profite, dirait-on, ni de
la passivité, ni de l’activité à son égard. Son narcissisme reste peu développé. La masturbation, habituelle à son âge chez des garçons sans
relations féminines, n’est pas une
source de satisfaction phallique pour lui. La passivité à l’égard du père est importante, l’activité vis-à-vis de lui est déplacée sur les luttes à l’école. Il n’a pas développé un système d’investissement
résistant, stable et satisfaisant.
Le bizutage inflige des blessures
narcissiques. Afin de modifier la structure
narcissique des jeunes. Il exalte le narcissisme des anciens. La découverte de la lettre sur le bureau de son père déclenche un conflit grave entre les composants actifs et passifs de son attitude à l’égard de son père par l'éclipse du déplacement de son hostilité qu’autorisait l'existence des traditionalistes à l’école. L’identité entre ceux-ci et
le père une fois établie par le biais
de la lettre, M. DRA devait affronter
une situation oedipienne sans
distance ni aménagement. Il s’en suit un désinvestissement du père, donc
une libération de la libido qui se réinvestit immédiatement
sous forme de narcissisme pathologique
au cours de l'épisode psychotique : il
doit sauver le monde. On connaît le rôle du narcissisme dans les psychoses baptisées par Freud vers 1914 «
névroses narcissiques ». L’hostilité de M.
DRA envers son père retrouve son objet oedipien par voie régressive.
Après la maladie les investissements se
répartissent, sans doute aussi grâce à la thérapie, d’une manière
plus satisfaisante.
Le vécu psychotique initial apparaît ici comme une manifestation de la libido libérée. La vision surgit dans l’entre-temps de la désorganisation, après la lecture de la lettre et avant la réorganisation pathologique transitoire de l’épisode aigu. Le vécu se greffe sur l’objet le moins conflictuel en ce moment-là, la science-fiction, seule épargnée par la tempête affective du conflit d’ambivalence. L'attrait de l’au-delà, de la mystique, fréquent chez les personnes de structure psychotique s’explique partiellement par des possibilités de prise de distance que ceux-ci autorisent. Tant que le malade est préoccupé par son V.P.I. le processus psychotique reste actif dans son psychisme. A l’extinction de celui-ci l’intérêt du malade pour son vécu diminue puis disparaît. Les séquelles, en particulier l’état déficitaire psychotique, qu’on observe parfois malgré le traitement en tant que forme de survie d’une économie psychique défaillante, ne semble pas s’organiser autour du V.P.I.
L'importance d'une première expérience; la crise
Des vécus ayant des caractéristiques semblables au VPI se présentent également dans la vie psychique normale. Une expérience que le sujet vit pour la première fois, un premier vécu, dispose d'un impact particulier. K. Jaspers y insiste. (11) La vie est une histoire, ce qui est arrivé ne peut ne pas avoir été. Une première expérience, comme telle, comme première, ne peut se répéter et possède une force, une puissance toute particulière. Toute première expérience est d’une importance capitale. Elle compte en fonction de la situation vitale de la personne, son âge, la phase maturative dans laquelle elle se trouve, l’état d’équilibre de son économie psychique, c’est-à-dire la qualité de son système d’investissement. Les vécus décisifs le sont sur le plan existentiel. Le passé reçoit un éclairage nouveau, l’avenir apparaît dans une atmosphère inédite. La répétition du vécu ne fait ensuite que confirmer la première impression. Lucien Lévy-Bruhl oppose la notion occidentale de l’expérience, développée de
Platon à Kant et au-delà comme essentiellement de nature cognitive, à l’expérience telle qu’elle est vécue par les« primitifs » de nature affective. (12)
La répétition de l’expérience affaiblie la composante affective et renforce la tendance naturelle à la compréhension. Cette évolution est habituelle; les effets de la répétition peuvent être combattus par des techniques de la ritualisation. Les expériences existentielles les plus proches des expériences pathologiques sont celles qui atteignent les plus grandes tensions affectives, dont la charge affective s’est révélée suffisamment puissante pour remodeler complètement le système d’investissement du sujet. Ce sont des crises, tout particulièrement les crises de l’homme créateur. Du moins celles-ci sont mieux connues que les crises dont les conséquences restent exclusivement personnelles ou familiales. De la crise, en général, Jaspers écrit que c’est le moment au cours duquel l’existence connaît la transmutation, dont on sort changé que ce soit dans le sens d’un nouvel essor, ou au contraire, dans l’effondrement. La crise vient en son temps. On ne peut ni la précipiter, ni l’éviter. Comme tout dans la vie, elle exige un temps de maturation. Une crise n’est pas nécessairement bruyante, elle peut s’accomplir progressivement, en silence.J’ajouterai qu’une maladie peut en tenir lieu (par exemple chez NIETZSCHE). L’homme le moins porté à se laisser changer connaît la crise sous deux de ses formes fondamentales : le rêve et le deuil. « Rêve, deuil, création constituent des phases de crise pour l’appareil psychique » (13)
Le VPI est une crise pathologique. Les expériences mystiques, qui ont joué, et
jouent encore un si grand rôle
dans l’histoire de l’humanité,
apparaîssent en tant que crises très proches du vécu psychotique initial, au point que je serais tenté d’individualiser un vécu originaire, dont les bases régressives pourraient se constituer par des expériences
précoces d’isolement, de repli autoérotique suivies
de retrouvailles — avec qui ? — peut-être
avec la mère. Ce vécu pourrait être le prototype des crises
existentielles normales et pathologiques,
représentant dans la psyché le vestige
de — pour ne pas dire la fixation à — la première, les premières expériences de séparation et de
retrouvailles vécues comme telles.
Du point de vue économique
La crise existentielle permet de se dégager des investissements libidinaux anciens, de s’en libérer et se rendre ainsi disponible pour de nouveaux investissements. En pathologie les investissements des malades avant la crise sont déjà, en général, à peu
près inexistants, ou en tout cas fragiles. Les investissements des psychotiques sont instables par l’absence d’une
véritable triangulation. Les investissements
réalisés après la crise existentielle,
du moins dans le cas de la crise productive,
témoignent d’un resserrement du faisceau libidinal; ils sont focalisés
sur l’oeuvre, la tâche, et en pathologie,
sur le délire. La crise existentielle productive remplace l’objet naturel, naïf, prêt à l’emploi qui sert
habituellement et normalement à la satisfaction
de nos besoins pulsionnels par un objet
artificiel, virtuel, car à créer et qui resterai en permanence en état d’être recréer, un objet au second
degré, un objet sublimatoire. La crise existentielle surmontée accroît les
capacités cathartiques de l'individu. Le vécu
psychotique initial couvre et
dissimule une crise existentielle d’un genre spécial, propre au
psychotique.
Dans les crises existentielles
des créateurs l’organisation du réel ne sort, virtuellement transformée de la
crise que dans ses dimensions effectivement
manipulables, matérielles, sociales, culturelles et relationnelles. Les psychotiques,
quant à eux, touchent aux paramètres fondamentaux et s’enfoncent dans le
délire. Avant la production du V.P.I. dans
une structure psychotique s’équilibrent
les défenses psychotiques dirigées
contre la prise de conscience du caractère réel, de l’existence autonome de l'objet
et les défenses moiïques opposées aux
pulsions trop puissantes. Après le V.P.I. les défenses
psychotiques occuperont le devant de
la scène pendant toute la durée du processus
psychotique, même si les défenses moiïques arrivent à endiguer l’envahissement pulsionnel.
Nous avons analysé le vécu psychotique et individualisé un vécu psychotique initial. La production d’un V.P.I. consacre l’échec économique de la structure psychotique dans les conditions de fonctionnement qui étaient les siennes auparavant et inaugure la crise de restructuration qui doit permettre au sujet de réaliser un équilibre économique plus satisfaisant, le plus souvent au prix de régressions durables. Du point de vue topique le V.P.I. ouvre la voie à l’envahissement pulsionnel par le retour de l’objet, la tentative de restauration de la fonction de l’objet. L’action est déplacée du dedans au dehors. Du point de vue dynamique le V.P.I. est une expérience de satisfaction inattendue et méconnue qui vient animer une vie devenue aride. Il annonce la reprise des conflits psychiques, le début du processus psychotique.
REFERENCES
[1] Ey H., Traité des Hallucinations,
Masson, 1973. pp 438-441.
[3]MOREAU (de Tours) J.
: Du hachisch et de l'aliénation mentale, Analectes. p. 31
[4] JASPERS K. : Allgemeine
Psychopathologie, Springer, 1973.
[5]
EY H. : Traité des
Hallucinations, Masson, 1973.
[6] WIENER P. Structure
et processus dans les psychoses, P.U.F
1983
[7] BOWLBYJ.: Attachement and Loss Hl, Penguin, 1971 Separation,-anxiety
and anger,Hogar, 1973.
[8] WIENER P. : La psychose, champ de force, structure, processus, maladie,Bull. de
Psychologie XXVIII 13-15,1975. p.1099.
[9] FREUD S. : Gesammelte Werke
X. Die Verdrângung, (Le refoulement) 1949. p.50
[10] FREUD S., BULLIT VV.C. : Le Président T.W. Wilson,
10-18 Albin Michel, 1974.
[11] JASPERS K. : Allgemeine Psychopathologie, Springer,
1973. p. 584
[12] LEVY-BRUHL L. : L'expérience mystique et les symboles,
Félix Alcan, 1938.
[13] Anzieu D., 1974, 5.
[14] Ey H, Traité des
Hallucinations, Masson 1973.
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