Suite Etayage mutuel des fonctions page 2 / 2
L'échec de l'étayage mutuel des fonctions
Elle entrave la bonne marche de l'économie psychique du psychotique; On peut parfois se demander si c'est la défense qui modifie la fonction,
ou si ce qui apparaît comme défense est une impossibilité de
fonctionner. Le défaut d'étayage mutuel évoque l'image d'un manque de continuité dans l'enclenchement des mécanismes, d'une impossibilité d'exécution
de programme. On retrouve une connotation
semblable dans les mécanismes de défense, en particulier dans le plus important d'entre eux, le refoulement. Quand les fonctions, malgré leurs insuffisances,
deviennent à peu près opérationnelles
chez le psychotique, elles sont encore plus facilement utilisées comme défense que dans les autres structures. La notion de défaut d'étayage mutuel des fonctions n'est pas très précise. Peut-être la comparaison avec le refoulement permettrait de l'affiner. En fait,
le parallèle entre défense et insuffisances d'étayage
mutuel s'établit dès les débuts de la vie extra-utérine.
L'accroc fonctionnel existe dans le
refoulement
dès son premier temps, le refoulement originaire.
On parle de refoulement du point de vue topique. Du point de vue dynamico-génétique nous pouvons utiliser le terme de fixation, que je préfère pour désigner en clinique ce premier temps du refoulement. Le même terme convient si on a en vue, au lieu de la pulsion, la
fonction ou une des fonctions correspondantes,
car pulsions et fonctions évoluent de
concert. Dans la fonction se coordonnent
source, poussée, objets et buts de la
pulsion selon les possibilités réelles
de satisfactions progressant au fil de la maturation.
La
fixation consiste dans le fait « ... qu'une pulsion,
ou un composant pulsionnel n'accomplit pas l'évolution
normalement prévue et, à la suite de cette inhibition
de l'évolution, demeure à un stade plus infantile.
» (2) Les lignes de développement fonctionnel, comme le développement
libidinal, subissent des fixations. Actuellement on admet, en général, deux
modalités de la fixation. La pulsion, ou la fonction, reste fixée à un stade soit par manque d'incitation à la poursuite du développement en raison d'un excès de satisfaction obtenu, ou une trop grande facilitation fonctionnelle expérimentée à ce niveau; ou bien au contraire par manque de satisfaction pulsionnelle ou aliment fonctionnel. S. Freud lui même a invoqué, pour expliquer la production du
refoulement originaire, la trop grande force pulsionnelle
et l'événement traumatique que pouvait
constituer la percée du pare excitations.
On peut admettre que, dans ces cas traumatiques, l'évolution
pulsionnelle ou fonctionnelle est entravée
par la constitution d'une fixation du second type. Mais quand le traumatisme est important les conséquences de
la fixation ainsi réalisée dépassent celles habituellement
observées à la suite d'un refoulement originaire névrotique.
Le
refoulement originaire ou la fixation correspondante
peuvent être considérés comme des
insuffisances d'étayage; en quelque sorte la pulsion ou la fonction ne
peut s'étayer suffisamment sur elle-même.
Les refoulements ou les fixations,
comme on sait, font partie de l'évolution normale, et même quand ils
sont pathologiques, ils s'incluent dans la
dynamique psychique. Distinguons donc
entre insuffisances d'étayage
autorisant le développement et le
fonctionnement d'une dynamique psychique
suffisante que sont les refoulements ou les fixations présents chez tout être
humain banal, pour ne pas dire
normal, ou névrosé, et les insuffisances d'étayage plus dévastatrices, n'autorisant pas la mise en place de la dynamique habituelle, telle qu'on en observe, par exemple,
dans la psychose. On comprend
ainsi la difficulté de parler de refoulement quand on cherche les fixations constitutives de la psychose. Car il s'agit bien de fixations, puisque des pulsions ou des fonctions sont entravées dans leur développement.
Mais s'agit-il d'un refoulement?
Dans la psychose, ce sont les
fonctionnments, organiques et végétatifs les plus élémentaires,
alimentation, sommeil, sensorium, sources des satisfactions des
plus archaïques, qui se trouvent d'emblée
empêchés. Ce qui revient à affirmer que l'encrage des psychoses est précoce au
cours de la vie. Au maximum, la pression homéorhétique se relâche après
désorganisation des facteurs évolutifs et les
fonctions se dessèchent sur pied, au minimum
l'évolution libidinale s'engage plus ou moins dans l'impasse
de la manipulation antiphysiologique de la satisfaction
hallucinatoire du désir. Celle-ci devient
parfois immédiatement l'organisateur de
la vie psychique, comme dans l'autisme et la symbiose; ou bien peut rester latente sous forme justement d'une fixation, et ne venir dominer le fonctionnement qu'après renoncement ultérieur à l'objet réel décevant, à la faveur
du déni délirant. Le mythe génétique de l'hallucination
primitive me paraît correspondre à une réalité archaïque. La
satisfaction hallucinatoire
anti-physiologique semble constituer le premier ersatz polyvalent de
toutes les insuffisances fonctionnelles dues à l'échec de l'étayage mutuel.
Le déni
de l'existence de l'objet réel
Au second temps du refoulement, au
refoulement proprement dit, dans la névrose, qui porte
sur les représentants de la pulsion, correspond dans la psychose
le déni progressif de l'existence de l'objetréel qui se révéle décevant, en raison de
l'insuffisance des étayages. Je remarque à ce sujet que le
déni de la castration chez le garçon est en même temps, potentiellement, le déni de l'objet génital. Sans acceptation phantasmatique de la possibilité de castration, qu'évoque le sexe féminin pour
le garçon, l'objet génital ne pourra pas se constituer
au décours de la phase phallique comme
réceptacle du phallus. C'est ce qui arrive
dans la perversion. Toutefois, ici, j'ai en vue le précurseur archaïque de la castration que représente l'impossibilité d'accéder à l'objet par l'entremise d'une pulsion partielle. L'objet réel de la pulsion correspondante ne peut pas se constituer; ce qui conduit ultérieurement,
dans la mesure où il existe une élaboration, à être amené à en nier
l'existence. Autrement dit, le développement libidinal, qui
est supporté par l'ensemble des zones érogènes
en activité, aura des lacunes précisément
là où les insuffisances de l'étayage mutuel
n'auront pas permis l'émergence de la zone
érogène correspondante, ou en auront constitué une par trop envahissante.
L'existence d'une zone érogène satisfaisante est le signe
de la réussite de l'étayage mutuel. Le besoin,
par la voie de la fonction, se constitue ainsi en pulsion
partielle.
Vécu psychotique initial, retour de l'objet refoulé dans la
psychose
Le retour de l'objet refoulédans la
psychose enfin, permet la renaissance de l'espoir au cours
du "vécu psychotique initial" — moment
de bonheur qui précède souvent les premiers
épisodes aigus — espoir de pouvoir enfin se servir
d'objets réel, rapidement mué en certitude par le compromis délirant.
On peut donc ainsi distinguer dans la
psychose un déni originaire, à valeur
de fixation, que j'appelle prosaïquement insuffisance d'étayage mutuel,
et un déni proprement dit, retrouvé chez les
sujets de structure psychotique soit sous
forme de croyances ou de convictions
compensatrices prédélirantes
ou soit de perversions.
Reprenons la question : Ce déni est-il de l'ordre du refoulement? Je réponds par la négative car si l'action du système PCs-Cs, par mise en place de contre-investissements tend dans la psychose, comme dans la névrose, à maintenir la pulsion dans l'inconscient, cette action dans la psychose n'est pas constitutive de la pathologie au même degré qu'elle l'est dans la névrose. C'est la pression pulsionnelle jamais réduite par la satisfaction physiologique réelle en raison du manque d'intégration fonctionnelle de la pulsion qui en est la source essentielle. Le déni (proprement dit), celui de la nécessité de disposer d'un objet réel pour la satisfaction, prépare essentiellement l'économie psychique à l'acceptation de l'aménagement délirant. La poussée pulsionnelle du psychotique est trop forte en raison même de l'échec de l'étayage. L'absence de la capacité de se servir d'objets réels oblige le psychotique pour arriver à la satisfaction par la réalisation du but de la pulsion à des détours, pervers ou délirants, au dans les cas exceptionnels, créatifs, et l'engage à chager l'objet initial de sa pulsion.
Mon souci, commun à tous les auteurs qui depuis S. Freud — et dans
son esprit — se sont occupés de psychotiques,
de distinguer les mécanismes constitutifs de la psychose de ceux de la névrose, m'a conduit à utiliser le terme
général de l'échec de l'étayage mutuel des
fonctions psychophysiologiques et relationnelles pour désigner la spécificité
du manque psychotique. Il en existe de multiples variétés dont
l'inventaire reste à faire, auxquelles correspond
la diversité des dénis. L'éventail des
insuffisances de l'étayage mutuel s'ouvre à partir des échecs relativement anodins que sont ceux
constitutifs des névroses et s'étend jusqu'aux
pires délabrements, désorganisant les
rapports entre les constituants de la première topique.