ETAYAGE   MUTUEL   DES   FONCTIONS   PSYCHOPHYSIOLOGIQUES  ET  DEFENSE

                    

 Paul WIENER                                                                                                        page 1/2

 

 

Se constituer en sujet autonome, cohérent et unitaire est la première et la principale tâche à laquelle l'homme est confronté après la naissance. La structure personnelle, telle que nous la représentons grâce aux deux topiques, est le résultat et le support permanent de cette réalisation. Elle établit très tôt, et pour la vie, les rapports entre le Ca et les instances de régulation, Moi, Surmoi et Idéal du Moi. Le fonctionnement de la structure psychique est tributaire de l'équilibre économique qui se réalise dans le cadre de la topique par une dynamique appropriée. Les déséquilibres évolutifs sont résolus par des rééquilibrations majorantes.

 

La structure pathologique est la structure du sujet qui, tout en ayant réussi à se constituer en individu, subit les contraintes d'une certaine insuffisance de son organisation personnelle. Selon la nature de ces insuffisances, on peut évoquer telle ou telle pathologie..

 

La structure psychotique, c'est-à-dire la structure personnelle du sujet psychotique, est caractérisée par sa tendance à la réalisation, directe au départ, régressive ensuite, du Moi plaisir purifié de S. FREUD. Je crois pouvoir associer à cette réalisation un mécanisme qui n'y a pas été rattaché par S. FREUD lui-même, la satisfaction hallucinatoire des désirs. Éprouvé tantôt comme tentation, tantôt comme résultat de l'envahissement pulsionnel dangereux, le mirage de la satisfaction hallucinatoire des désirs entraîne le psychotique dans des manipulations anti-physiologiques. Ce sont ces manipulations qui attirent l'attention, chez lui, sur l'échec initial de l'étayage mutuel des fonctions.

 

Ce travail est entrepris pour préciser quel­que peu les rapports entre la notion d'étayage mutuel des fonctions psychophysiologiques et relationnelles et la notion de défense (utilisées dans mon livre Structure et processus dans la Psychose (1) à la suite de L. KREISLER, M. SOULE et M. FAIN),

 

 Les ajustements psycho­physiologiques

L'apparition de nouvelles fonctions, au cours de la maturation et la disparition d'anciennes, donnent lieu à des ajustements psycho­physiologiques et relationnels auxquels il convient d'accorder la plus grande attention. La mise en place de nouveaux engrenages, qu'on peut désigner schématiquement par la notion d'étayage mutuel des fonctions, connaît ses moments les plus actifs chez le nouveau-né, dans la petite enfance, va decrescendo pour se stabiliser à un bas niveau pendant la latence, aborde la phase très active de la préadolescence et de l'adolescence et se termine par l'organisation de la vie sexuelle de l'adulte et l'entrée dans la vie active. Le mariage, la grossesse, la naissance et l'élevage des enfants demandent encore des étayages nouveaux, sans parler des aléas de la vie professionnelle, de la vie tout court, et des effets de l'évolution politique, socio-culturelle et écologique.

 

Le nouveau-né doit étayer ses fonctions physiologiques de base. Les compétences sont plus faciles à acquérir pour les fonctions à psychogenèse simple que pour les fonctions plus complexes, telle la sexualité, exigeant une large participation relationnelle. Pourtant, déjà, l'organisation d'une fonction aussi élémentaire que la respiration peut présenter de défaillances. Sans parler des morts subites du nourrisson par arrêt respiratoire, ou des nombreuses dyspnées, même le psychiatre d'enfant note parfois des troubles de rythme, qui peuvent se traduire, entre autres, par des troubles de la parole. Les perturbations du sommeil, de l'alimentation et de l'excrétion son connues et fréquentes; le sommeil et l'alimentation sont des fonctions bien plus complexes que la respiration. Les troubles de la vision et de l'audition, sans support organique, tels le strabisme ou l'hypoacousie, sont courants chez les enfants pathologiques, car le sensorium exige également de l'étayage. Les troubles sensoriels réalisés par voie régressive, par exemple dans l'hystérie ou dans la schizophrénie ont des insuffisances d'étayage à valeur de fixation pour origine. La fonction à intégrer au cours de l'adolescence est, comme chacun sait, la sexualité génitale.

 

Des insuffisances temporaires de l'étayage des fonctions s'observent aussi bien au cours de la petite enfance que de l'adolescence. Chez l'enfant, il s'agit de troubles transitoires, considérés par Anna Freud comme des sous-produits du développement. (Le normal et le pathologique chez l'enfant). On peut qualifier ainsi, par exemple, les colères de l'enfant qui marche mais ne parle pas encore, l'impatience spectaculaire qu'il manifeste devant des tâches simples, non maîtrisées. Des conduites inadaptées de l'adolescent peuvent s'attribuer aux difficultés de la mise en place de la relation objectale génitale.

 

Etayage mutuel des fonctions et défense

On remarque facilement que la notion de l'insuffisance d'étayage mutuel des fonctions et celle de défense sont liées, voire même se recouvrent partiellement. En effet, la défense, au sens classique du terme de défense contre les pulsions, se manifeste le plus souvent par des troubles fonctionnels. La plupart des mécanismes de défense portent sur les fonctions qu'ils entravent ou modifient. Le symptôme est une fonction modifiée.

La notion d'étayage n'est pas utilisée ici  au sens psychanalytique habituel de l'étayage d'une pulsion sur une autre, le plus souvent celui d'une pulsion sexuelle sur une pulsion d'autoconservation, mais dans un sens plus large d'étayage d'une fonction sur une autre fonction. Ce sens est plus large, car si la pulsion entre dans le montage d'une fonction, en constitue même l'essentiel, elle y est intégrée dans un ensemble destiné à fixer le destin de la pulsion. La fonction est la pulsion et son destin en cours de réalisation. En parlant de fonction plutôt que de pulsion on évite quelques difficultés méthodologiques. En clinique pédopsychiatrique, par exemple, la fonction s'observe directement, alors que la pulsion est plus difficile à appréhender. En cure classique, évidemment, un tel détour n'est pas nécessaire.

 

(1)   P. Wiener : Structure et processus dans la psychose. P.U.F., 1983.

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