Structure psychique et maladie mentale  page 1/2

                    Paul WIENER

   

 

 

Résumé

Qu'entend-on par structure psychique? La première et la seconde topiques sont avantageusement complétées par le recours à d'autres paramètres, par exemple les modalités d'élaboration, et surtout la plus importante parmi celles-ci : la mentalisation. La psychopathologie nous invite à considérer les constances et les transformations de la structure psychique et leurs conséquences, le degré d'organisation ou de désorganisation des investissements et des défenses. Chez l'enfant c'est plus simple, mais pas forcément plus facile à comprendre.

Mots clés : structure psychique, psychose, mentalisation,

 

Abstract

            What do we mean by psychic structure ? It is interesting to supplement the first and second topogra­phies with other parameters such as working - over modalities and more especially mentalisation - Psychopathology leads us to consider the constant elements and transformations of the psychic struc­ture and their consequences, the degree of organisation or disorganisation of cathexes and defences. In children this is simpler although not necessarily easier to understand.

Key words: psychic structure, psychosis, mentalisation.

 

      J'ai revu un petit garçon de 5 ans après un an de psychothérapie. Lors des deux premières consultations, il apparaissait tendu, angoissé, sous pression, avec des attitudes de raidissement, infatigable pour se déplacer dans la pièce, gribouillant. Il exprimait à l'occasion des fantasmes archaïques. Un an plus tard, il est transformé, sa tension intérieure a cédé; il est mieux structuré, syntone, avec un côté surdoué, en tout cas bien mentalisé. Son dessin s'est organisé, ce que je ne peux exclusivement attribuer aux effets de l'âge ou à l'influence bénéfique de la situation. J'entends tout de même beaucoup parler du feu, mais c'est un feu contenu dans la cheminée. Ce feu peut néanmoins brûler tout le corps, mais les pompiers viennent, amènent le garçon brûlé à l'hôpital, il guérit. Souvent, on rencontre ainsi des enfants en piteux état qui, ensuite, réagissent bien à la psychothérapie. Si on pouvait prévoir comment les enfants vont évoluer! Certes l'âge et le soutien familial comptent. Les enfants jeunes répondent mieux. Si la famille est là pour accompagner l'évolution, les résultats sont le plus souvent au rendez-vous. Cependant, une vue sur la structure psychique de l'enfant est également utile. Est-ce que le potentiel  d'évolution est sauvegardé? Quelle est la structure de base? L'organisation va-t-elle pouvoir s'enrichir? Il s'agit d'apprécier les capacités et les compétences qui soutiennent les acquisitions. À propos des enfants plus grands, des adolescents, des adultes, on peut se demander, quand ils amorcent une décompensation,dans quelle maladie mentale ils risquent de s'engager. C'est en vue d'apporter des éléments de réponse à de telles questions pratiques que l'analyse clinique et conceptuelle de la structure psychique apparaît utile.

 

La structure psychique

 On sait depuis Kretschmer que la structure physique du corps intervient, tout comme l'âge et bien d'autres paramètres, dans l'engagement de la pathologie. Passer de la structure corporelle à celle de la psyché soulève des questionnements. Je remarque que la notion de la structure psychique est distincte de celle de la personnalité, dont la définition est très difficile, en raison du grand nombre d'auteurs qui l'ont utilisée. En 1927, on dénombrait déjà 50 définitions. Les théories de la personnalité se formulent en général en termes de «type», de «traits», de «champs», ou encore d' »inter­actions». Actuellement, les études expérimentales tentent d'intégrer les acquisitions scientifiques récentes [3]. La structure psychique n'est pas non plus le caractère, qui est  modulation permanente du Moi en fonction des vicissitudes du développement libidinal (caractère oral, anal...).

            La notion de structure est à prendre comme un schéma d'intelligibilité et non comme l'expression d'une réalité (G. Simmel, R. Boudon) [1]. Elle saisit des propriétés formelles et permet une utile analyse conceptuelle. La réalité matérielle sous-jacente est de nature phénoménologique, différente d'un objet d'étude à l'autre et implique l'existence de mécanismes spécialisés également multiples. L'acception du terme varie selon les auteurs. Quant à moi, je suis les indications de Piaget: «la structure est un système de transformation qui comporte des lois en tant que système (par opposition aux propriétés des éléments), et qui se conserve ou s'enrichit par le jeu même de ses transformations sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fassent appel à des éléments extérieurs... une structure comprend ainsi les trois caractères de totalité, de transformation et d'autoréglage» [4].

Du point de vue topique

Du point de vue topique (qui répond à la question «où»), une structure psychique est caractériséepar le satisfaisant développement et agencementde la première et de la seconde topique de S. Freud. La Conscience et l'Inconscient sont bien séparés par le Préconscient. Le sujet doté d'un Moi fonctionnel garde l'autonomie et la maîtrise de ses activités.

 

Du point de vue économique

Du point de vue économique (qui répond à la question «pourquoi»), une structure psychique détermine dans ses grandes lignes la relation du sujet à son propre inconscient. Elle est régie par un champ de forces, par un rap­port de forces internes et externes, tel que le résultant, vecteur fixé dès la première enfan­ce, reste pour l'essentiel invariant. Elle réser­ve des possibilités suffisantes d'investisse­ment, autorisant une bonne gestion pulsion­nelle.

 

Du point de vue dynamique

Du point de vue dynamique («comment»), la structure psychique est l'ensemble des possi­bilités régressives du sujet, répondant au réseau de ses fixations. Autrement dit, ce qui compte c'est le niveau d'évolution libidinale où se trouvent situés ses conflits. Les notions de structure et de défense sont à distinguer. Seules les défenses de base, telles que les révèle le «rapprocher» de Maurice Bouvet [2] sont caractéristiques des structures. De même, il convient de ne pas confondre les notions de structure et de fonction. On ne peut parler de structure d'un sujet que dans la mesure où l'individu a réussi à se constituer en unité, en personnalité à peu près cohérente. À défaut, on observe divers phéno­mènes pathologiques chez un être psychique-ment inorganisé, comme par exemple dans certaines psychoses infantiles diagnostiquées rétrospectivement chez l'adulte. La structure est la structure personnelle du sujet et non celle de sa pathologie. L'examen clinique per­met d'en prendre connaissance.

 

La structure psychique pathologique

Elle est le résultat d'un développement défectueux, avec différenciation insuffisante des deux topiques, appauvrissement des possibilités économiques et des potentiels dynamiques. Certaines fonctions, trop sollicitées, supportent tout le poids du fonctionnement, suppléant du point de vue économique, tant bien que mal, aux autres, défaillantes. Deux struc­tures psychiques pathologiques apparaissent bien circonscrites. Ce sont les structures psy­chotique et névrotique. Elles ont en commun leur incapacité à rétablir l'équilibre perturbé autrement que par voie régressive (et non progressive : développement, réorganisations créatives, etc.). C'est donc leur ancrage libidinal profond qui justifie l'individualisation des structures psychiques de base. L'évolution libidinale plus tardive installe des modalités supplémentaires de fonctionnement qu'on peut désigner comme organisations. Ainsi la névrose est une structure, mais l'obsession, la phobie ou l'hystérie peuvent être considérées comme des organisations. Une organisation hystérique peut se constater à partir de 3 ou 4 ans. Alors que la structure de base, même si elle s'aménage, ou se transforme par des mouve­ments régressifs, est peu susceptible de chan­gement véritable chez l'adulte (sauf sous l'ef­fet de traumatismes graves), l'organisation, elle, peut parfois évoluer, notamment sous influence thérapeutique. Chez le garçon dont il a été question plus haut, une meilleure organisation a pu se mettre en place.

 

 Distinguer structure et organisation psychiques

Je trouve utile de distinguer ainsi structure et organisation psychiques. J'admets l'existence, chez la grande majorité des sujets, d'une structure psychique normale, suffisamment bien constituée, banale. Elle est mise en place par une évolution libidinale précoce, correcte. L'invariant de la structure normale est sa tendance à rétablir l'équilibre perturbé par une «rééquilibration majorante» (généralisation de la notion décrite par Piaget à propos de l'évolution cognitive). L'évolution ultérieure ajoute des particularités. C'est ainsi que je parlerais par exemple d'organisation introvertie ou extravertie. A certaines organisations psy­chiques normales semble répondre une pathologie, au point qu'on les désigne par le nom de leur correspondant pathologique. Tel est le cas de la phobie, de l'hystérie et même de l'obsession. C'est sans doute cette relation de continuité qui a inspiré S. Freud qui n'admettait qu'une différence quantitative entre le normal et le pathologique. Dans d'autres cas, cette relation entre la personnalité prémorbide et la pathologie est plus lâche et énigmatique, telle entre personnalité schizoïde et schizophrénie. L'époque contemporaine peut ne plus établir une relation de ce genre alors qu'elle était évidente il y a encore quelques siècles, par exemple entre le tempérament saturnien et la mélancolie. Dans d'autres cas, enfin, il ne semble pas exister de correspondance entre la personnalité prémorbide et la maladie mentale (dépression). Est-ce parce que tout le monde peut se trouver déprimé? Il est commode de faire dériver ainsi la structure psychique de la pathologie.


             Nous parlons donc volontiers de structures névrotiques (structure du sujet névrotique), de structure psychotique (structure du sujet psychotique), d'états limites, de structures psychosomatiques. On peut, comme on le sait, également procéder à l'inverse. C'est-à-dire combiner des traits physiques ou de caractère ou encore des variables obtenues par analyse factorielle après passation de tests et rattacher ensuite le résultat obtenu à la pathologie. De nombreuses caractérologies ont adopté l'une ou l'autre démarche. La notion de structure permet dans une certaine mesure de sortir de ce dilemme poule-oeuf. 

 

La permanence des structures psychiques est discutée. La majorité des auteurs pense qu'elles sont modifiables dans une certaine mesure. La distinction entre structure et organisation a l'avantage d'individualiser une sorte d'infra­structure permanente et une superstructure plus malléable. C'est seulement à l'issue de l'adolescence que l'organisation se fixe sous sa forme définitive.

 

La structure psychotique

 Du point de vue topique

 La structure psychotique est caractérisée par la trop grande perméabilité du passage inconscient-conscient (première topique), et par la carence psychogénétique de la fonction du réel (seconde topique) dont les effets conjoints se traduisent par la menace permanente de l'envahissement pulsionnel. Chez le futur psychotique, la séparation précoce du Cs de I' ICs ne s'est pas accomplie convenablement.

 

 Du point de vue dynamique

 Les structures psychotiques se distinguent par l'insuffisance de l'étayage des fonctions psychiques sur les fonctions physiologiques, ce qui oblige le sujet à des manipulations anti­physiologiques (dont le prototype est la satisfaction hallucinatoire des désirs). Le sujet reste par ailleurs inclus dans la relation duelle.

 

  Du point de vue économique

  On note l'impossibilité d'une réelle satisfaction objectale incitant à la quête typiquement psychotique de l'objet partiel idéalisé, inaccessible, que j'ai nommée la quête du Graal psychotique. Le parti pris pour le Ça, pour les pulsions, caractérise la structure psychotique alors que la structure névrotique cherche à obéir aux exigences du monde extérieur (S. Freud). D'autres structures psychiques pathologiques sont souvent évoquées: structure épileptique (Minkowska), psychosomatique, allergique ou opératoire (Pierre Marty), ou perverse.

 

  Désorganisation-réorganisation

  On peut individualiser lestransformations de la structure psychique comme des processus, c'est-à-dire des enchaînements complexes de phénomènes psychiques entraînant éventuellement des actions de la part du sujet, des réactions de l'entourage avec rétroaction sur l'état mental. Comme le veut Piaget, la structure alors se modifie sans cesser de rester la même. On peut ainsi parler, par exemple, de processus psychotique. Les principaux processus selon une telle conception sont de l'ordre de la désorganisation ou de la réorganisation. Les psychoses et les épisodes psychotiques aigus ainsi que la schizophrénie sont des désorganisations, alors que la paraphrénie et la paranoïa sont des réorganisations. J. Bergeret, en revanche, décrit de multiples structures, chacune avec ses propriétés particulières et ses possibilités pathologiques, sans autonomiser le processus comme expression de la discontinuité du fonctionnement psychique. Il ne distingue pas non plus la structure de l'organisation. Les notions de structure, d'organisation et de processusconstituent pourtant un cadre conceptuel cohérent et utile pour le clinicien.  

         

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