Un destin nommé psychose
La psychose nous apparaît d'abord comme une fatalité, un destin ; ensuite comme un style de vie, une manière d'être, une forme d'existence durable, l'essence d'une personnalité particulière, enfin nous constatons qu'elle est changement, sables mouvants, équilibre précaire. Nous sommes facilement saisis de sentiments d'impuissance devant l'immuable résistance du psychotique aux mesures thérapeutiques, qu'elles soient médicamenteuses, rééducatives ou même psychothérapiques. Nous assistons, étonnés, aux virages évolutifs imprévus par lesquels il illustre l'échelle des valeurs qui lui est propre et dont seuls les termes négatifs nous apparaissent à travers le refus, rarement déguisé en demande. Pourtant il dit un oui enthousiaste au bonheur conçu à la mesure d'un Eden pour nous inaccessible, tandis que le non facilement violent s'oppose aux désirs et même à l'existence d'autrui ; nous sommes sur lui sans réelle influence. Le oui condamne le psychotique aux changements permanents dégénérant vite en répétitions, ou en résignation. Le non s'oppose aux interventions, dont les nôtres. Oui et non, dits tout au long de la vie avec la même détermination, reléguant rapidement l'être, pourtant si ardent, dans le néant de la maladie.
Quels sont les consultants que la clinique quotidienne appelle psychotiques ? Sont désignés ainsi de nombreux malades en épisode aigu ou engagés dans une évolution chronique. Ces psychotiques sont manifestement malades, ceux qu'on hospitalise et qui reçoivent un traitement. Ont droit également au qualificatif de psychotiques les anciens malades, actuellement rétablis et stabilisés, avec ou sans séquelles, qu'ils restent sous traitement ou non. Enfin on entend parfois appliquer cet adjectif en dehors de toute relation thérapeutique à une relation personnelle, à des personnes qui n'ont jamais manifesté de pathologie.
Appelons, dans une première approximation, structure psychotique l'ensemble des caractéristiques qui autorise le clinicien à déceler la psychose à l'état latent. Les événements pathologiques qui vont, éventuellement, enlever le sujet à sa vie quotidienne révèlent le processus. L'état aigu, ou chronique, reconnu, constitue la maladie psychotique.
Ainsi pour envisager le phénomène indivisible de la psychose nous déplaçons notre regard sur trois points de vue différents. La structure s'apprécie en l'espace d'un examen clinique. Le clinicien expérimenté décèle sa nature psychotique dans la relation, par la qualité du contact. Le processus se révèle par les symptômes. La maladie est reconnue, autant que par le médecin, par les membres de la communauté qui jugent la situation d'un des leurs : peut-il garder son autonomie, assumer ses responsabilités, satisfaire à ses devoirs, faire son travail ; a-t-il besoin d'aide?
Les conditions d'exercice de la psychiatrie ont déterminé ma démarche. J'ai pratiqué la psychanalyse, conduit de nombreuses psychothérapies de psychotiques, et j'ai assuré régulièrement des traitements hospitaliers et ambulatoires, aussi bien chez des enfants que chez des adultes. C'est bien au cours de l'activité clinique quotidienne que la psychose m'a interpellé très fort. Trou noir de l'autisme d'où rien ne sort; corps insaisissable de l'hypocondriaque couvert de l'écaille de ses plaintes, parano de toutes espèces, emmurés derrière leur incommunicabilité fondamentale que seuls traversent les appels en accusation souvent préventifs; tous aristocrates de la souffrance et prolétaires de la solitude. Et ces écrits que vous lirez peut-être, est-ce la baleine qui aurait avalé ma personne, quand tel Jonas je pensais à me dérober à l'appel, ou des bouteilles à la mer ?
Nous travaillons exposés au faisceau convergent des influences qui se sont déjà exercées sur nous au cours de notre formation ; nous y restons fidèles par choix délibéré depuis l'acquisition d'une relative autonomie. Elles sont essentiellement psychanalytiques dans mon cas, mais j'ai également cédé aux attraits de la psychopathologie allemande et française non psychanalytique. Tâchons, par ailleurs, comme tous les chercheurs, éviter d'être submergés par la surabondance des travaux contemporains. Je suis, comme tout le monde, désireux d'en reconnaître les plus représentatifs pour construire mes hypothèses. J'espère n'en avoir omis aucun pour moi important.
Ici je présente la psychose en faisant appel à une terminologie en partie personnelle. Je ne récuse pas du tout les conceptions psychodynamiques de la psychose. Cependant la répétition de vérités bien connues n'apporte pas d'arguments dans le débat ou plutôt au dialogue de sourds avec les opposants à notre conception.
Le premier texte précise ces notions de base que sont la structure et le processus. Le second, La Stucture du psychotique et le processus pathologique recherche les facteurs de la pression homméorhétique pathologique dans l'ontogenèse de la psychose et évoque la notion de structures psychotique et névrotique. Le troisième est un texte important pour comprendre ma conception de la psychose. Je procède à l'étude des structures psychotiques du point de vue de la métapsychologie psychanalytique et des théories de Piaget. Enfin j'expose les modalités d'élaboration du fonctionnement psychique en fonction de l'organisation et de désorganisation de la structure pour présenter une classification des psychoses. L'étayage mutuel des fonctions psychophysiologiques et défense présente quelques aspects du développement ontogénétique de la psychose et du fonctionnement psychique psychotique. Désorganisation et réorganisation, à propos d'une observation rapporte une observation déjà ancienne et la compare à une plus récente tout à fait similaire publiée dans la presse psychiatrique. Je pose, dans les deux cas le diagnostic inhabituel de psychose hystérique. Ce sont des malades qui se désorganisent et se réorganisent souvent d'une manière spectaculaire. Les différentes formes de la désorganisation et de la réorganisation sont discutées. La psychose de l'enfant à la première consultation pose des repères modulés par l'âge, à connaître pour la bonne clinique. Enfin les deux derniers textes présentent le vécu psychotique initial qu'on retrouve souvent dans l'histoire de personnes ayant présenté une psychose manifeste.
Ces textes ont été rédigés au cours des trente dernières années au grès des sollicitations et des réunions scientifiques sans plan d'ensemble. Une seule et même vision de la pathologie les guide. Chacun d'entre eux éclaire un aspect différent de la problématique. Un exposé global de ma conception de la psychose se trouve dans l'ouvrage P. Wiener, Structure et processus dans la psychose, PUF,Paris, 1983.