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La psychose, champ de force,structure, processus, et maladie[1]
Paul WIENER
Nous nous
proposons d'introduire quatre niveaux dans l'analyse de la notion de psychose.
Pour indiquer le problème, partons de l'usage clinique quotidien. Quels
personnes appelons-nous psychotiques ? Trois catégories semblent répondre à cette dénomination. D'abord les épisodes psychotiques
aigus et la pathologie chronique confirmée; ensuite les malades rétablis et
stabilisés mais non guéris, traités ou non; enfin certaines structures sans pathologie manifeste sont parfois jugées psychotiques.
On appelle
ainsi psychotiques trois catégories de manifestations
aussi dissemblables que l'engagement actif dans la maladie,
l'état résiduel et la possibilité d'une évolution psychotique future. D'après ce qui est le plus significatif dans
chaque groupe, on peut s'autoriser à les désigner successivement par les termes
de maladie, processus, et structure. Leur dénominateur commun mériterait aussi
un nom. Appelons le champ de force psychotique, par analogie à l'usage de la notion de champ de force dans les
sciences physiques.
Champ de force psychotique
Commençons par situer ce champ de
force. L'enfant autorise au mieux cet examen, car il est encore dépourvu de
structure psychique définitivement élaborée. A ce niveau de la description, le
point de vue topique s'applique mal. On peut opposer l'ensemble des forces pulsionnelles primitives, le ça, si on veut
les appeler ainsi à l'ensemble des facteurs constituants non pulsionnels de l'être, au fur et à mesure de leur
élaboration (être: ce qui existe réellement). La psychose est avant tout un
rapport spécial de l'être et son ça. Ce rapport, bien entendu, l'observateur
devrait pouvoir le trouver dans la relation que l'enfant psychotique, ou futur psychotique, établit avec sa mère. Ensuite, nous le savons depuis Mélanie Klein,
cette relation sera intériorisée.
La spécificité de ce rapport psychotique semble attestée par Freud quand il écrit dans la Névrose et la Psychose que le psychotique a choisi de satisfaire ses pulsions quitte à mécontenter son monde. Le parti pris pour les pulsions est le vecteur le plus significatif et caractérise le mieux le champ de force psychotique. Ce « choix », peut-être irrévocable,témoigne d'une constellation spéciale des forces que malgré leur importance, les multiples facteurs de la maturation et du développement précoces moduleront, mais n'arriveront plus à remanier. En quoi consiste ce « choix » ? Pour Freud, essentiellement dans l'établissement d'un prototype de défense spécifiquement psychotique, qui permet au Moi par « un mécanisme semblable au refoulement », de « se détacher du monde extérieur »[2].
Autrement dit, le psychotique est
muni d'un chapelet de fixations, de contre-investissements, de la même valeur
génétique pour la suite du développement que
les refoulements originaires dans
les névroses. Rappelons à ce propos la discussion autour de la notion de
forclusion primordiale de J. Lacan. S'établit ainsi
au cours de l'évolution, un style dans les
rapports avec la mère, une orientation générale du développement, qu'on
peut considérer psychotique, antérieure à
l'élaboration des structures psychiques proprement dites.
Chez l'adulte, au cours de l'examen clinique,
nous apprécions ce champ dans la relation que nous établissons
avec l'inconscient du psychotique, par ce qu'il convient d'appeler le contact
psychotique. (Impression de malaise de l'examinateur, de demande affective
déplacée et disproportionnée du patient, ses insupportables tendances
symbiotiques, son incapacité d'établir et de garder une distance convenable au
sens de Bouvet). Ces caractéristiques de la relation d'objet psychotique
reflètent l'ensemble des rapports de différentes
instances psychiques, témoins de la
pérennité du « choix » initial. Conséquences : la force irrésistible des
pulsions, prêtes à déborder à la première occasion et l'incapacité des instances psychiques à les réprimer ou à
organiser leur écoulement.
La structure psychotique
La notion de structure fut particulièrement mise en valeur et enrichie par P. Marty et son école psychosomatique [3]
Rappelons qu'on entend par là l'ensemble de l'agencement de l'appareil psychique. Dans une perspective psychanalytique,
on parle de première et de seconde topiques (Inconscient - préconscient - conscient d'une part, systèmes du Moi, Surmoi-Idéal de Moi et du Ça, d'autre part). Certains auteurs se contentent de parler de la structure du Moi. On
peut, bien entendu, décrire la structure du
Surmoi et de l'Idéal de Moi, mais il
serait sans doute plus difficile de le
faire s'il s'agissait du Ça. La notion de structure psychique comprend
encore la connaissance des rapports de
toutes ces instances entre elles. Elle implique également l'existence
d'une économie d'investissements habituels
et stables de la libido, un certain nombre de schémas de comportement
caractéristiques des conflits (la dynamique) et une organisation subjective du réel, tel que Piaget l'a étudiée (espace, temps,
permanence et unité des objets, etc.). L'étude d'une structure psychique
comprend l'examen de tous ces aspects.
J'attribue aux structures psychiques une grande stabilité. Une fois établies au cours de l'enfance, les grandes lignes de la structure psychique ne varieront plus. La dégradation sous l'effet des forces pathogènes ne transforme pas une structure en une autre, elle ouvre la voie aux séquences de transformations successives que nous appelons processus pathologique J. Bergeret rappelle que Freud compare les malades mentaux à des structures cristallines brisées selon des lignes de forces préétablies 4]
Les structures psychiques, chez le psychotique, se développent en
fonction du rapport primordial avec les pulsions et l'expriment. Là encore, il
est avantageux d'envisager séparément
l'enfant et l'adulte. Comme nous le savons, il existe de multiples modes
de psychose infantile qui sont autant d'ébauches de structures psychotiques
différentes. Autisme, symbiose sont surtout
reconnus. Souvent, nous disent les
auteurs « raisonnablement pessimistes » (S. Lebovici),
il existe une altération irrémédiable du
développement psychique, une ébauche qui prend la place du définitif.
Dans ces cas de psychoses infantiles
précoces, la notion de structure psychotique n'est pas très utile pour
la compréhension clinique, car justement les
structures psychiques n'arrivent pas
à se constituer; devenus adultes les graves troubles du développement se traduiront par la dysharmonie et le
chaos. Dans d'autres cas, le développement suit son cours et le choix initial,
les fixations, le vecteur psychotique, ne se
révéleront que plus tard, lors de l'effondrement des défenses. Parfois la structure psychotique restera latente et
ne se manifestera jamais au grand jour.
La structure psychotique possède
des caractéristiques en propre. En raison de la
relation spéciale aux pulsions, décrite plus haut, tous les individus de structure psychotique connaissent des difficultés
dans l'élaboration fantasmatique et dans le traitement de l'angoisse.
Impossibilité de la triangulation, tendances à l'idéalisation primitive et culpabilité intense font également
partie de la description habituelle du
psychotique. On trouve l'exposé le plus complet des caractéristiques
générales de la structure psychotique dans les travaux de l'école kleinienne.
D'autres traits appartiennent en propre à des structures particulières. Les descriptions psychiatriques classiques qui les ont d'abord isolés et nommés, mélangeaient un peu pour composer le tableau clinique les traits de personnalité, composants statiques ou au moins relativement stables de la structure, et des processus dynamiques survenant à l'occasion et conduisant le psychotique à la maladie. C'est encore la notion de la personnalité prémorbide qui correspond le plus à ce que nous entendons par structure.
En fait on
peut se demander si une synthèse clinique, une vue d'ensemble des
structures psychotiques, une nosographie assumant ses contradictions flagrantes
(aigu - chronique, positions respectives des troubles de la conscience et de la personnalité, ces fils d'Ariane qui ont
permis à Henri Ey de sortir du labyrinthe de
la description psychiatrique mais non de s'y retrouver) est possible
actuellement sans nouveaux travaux préparatoires, en particulier sans nouvelles
tentatives d'intégration des recherches
psychanalytiques les plus récentes. On retiendrait
actuellement une structure paranoïaque, mais on ne peut accepter l'idée
d'une structure schizophrénique. Nous
devrions nous contenter actuellement
d'une structure schizoïde. Là
vraiment, le poids de la nosographie classique se fait sentir. La
description individuelle des cas semble actuellement la plus rentable. On peut presque toujours, en dehors des crises et
des états durables très graves où la pathologie du moment couvre tout, décrire
la structure personnelle d'un malade. La
connaissance de ce qui lui est
personnel, quand il s'agit des données permanentes de la personnalité,
est d'ailleurs bien plus utile pour la thérapeutique que ce qu'il a en commun avec les autres, c'est-à-dire le
diagnostic.